Rétrospective: les soins de cancer nécessitent un changement de mentalité

11 décembre 2024

Au niveau international, la Belgique est à la pointe de la recherche oncologique. Le tsunami d’innovations n’atteint toutefois pas suffisamment les patients qui souffrent de cancer. Les nouveaux médicaments, les technologies numériques, l’IA, etc. exigent une autre approche et un changement de mentalité au niveau de la politique et chez les acteurs de terrain.

Prof. Ahmad Awada speaking at the event "Cancer Care; The Future Is Now"

    L’évolution rapide de la recherche sur le cancer et ses conséquences pratiques étaient le thème de notre conférence « Cancer Care : The Future Is Now » organisée le 6 novembre. Petit coup d’œil sur les débats.

    Recherche clinique

    La manière dont les médicaments oncologiques sont développés change radicalement. L’accent est mis sur la collaboration, ce qui nécessite une approche organisationnelle totalement différente. L’échange de données au sein d’un réseau oncologique (modèle de la toile d’araignée) de centres universitaires et non universitaires, de médecins, de laboratoires, de patients… est essentiel. On ne parle plus d’un seul type ou de quelques types de cancer, mais de centaines. La réglementation doit être adaptée en conséquence.

    Remboursement et agrément

    La complexité s’intensifie. Les nouveaux médicaments (et vaccins) ciblent des populations de plus en plus restreintes, voire une approche personnalisée. Cela permet d’augmenter significativement la durée de vie et la qualité de vie des patients atteints de cancer. Les nouveaux médicaments anticancéreux sont certes coûteux, mais il est essentiel de les considérer dans leur ensemble. Ils ne représentent pas seulement un coût, mais aussi une économie, en ce sens qu’ils facilitent, par exemple, une reprise plus rapide du travail.

    Les procédures d’enregistrement et de remboursement n’ont pas été adaptées : à peine 66 % des médicaments anticancéreux sont remboursés et la procédure prend 640 jours. Seuls les gouvernements et l’industrie pharmaceutique sont impliqués dans la procédure. Un modèle multipartite impliquant les patients, les médecins… et tenant compte de l’ensemble du « parcours du patient » depuis le diagnostic est recommandé.

    « Les retards dans le remboursement des médicaments anticancéreux augmentent la morbidité et réduisent la qualité de vie »

    Carina Schey, Global Market Access Solutions

    Une seule procédure ne suffit plus, il en faut plusieurs (trois à cinq). Et la « survie totale » est un critère d’évaluation trop limitatif. Il est préférable d’inclure des critères intermédiaires tels que le ralentissement de la progression, la régression tumorale, etc.

    Il importe également d’exploiter le potentiel des molécules existantes pour de nouvelles applications thérapeutiques (aspirine pour le cancer colorectal, par exemple). Le fait que le médicament doive ensuite repasser par toute la procédure d’enregistrement et de remboursement est une perte de temps et d’argent. Une procédure d’approbation accélérée est recommandée.

    Organisation

    Le nombre de cancers, de consultations oncologiques et d’hospitalisations de jour augmente, tandis que les admissions classiques diminuent. Le cancer devient une maladie chronique, en particulier chez les patients âgés souffrant de pathologies multiples. Ce n’est pas seulement la tumeur qui compte. Outre la longévité, la qualité de vie et les traitements sur mesure priment.

    Les prestataires de soins doivent suivre le patient tout au long du cycle de la maladie. Dans la pratique, ils n’y sont pas encore préparés.

    L’organisation des soins doit s’adapter. Le soignant individuel cède la place à une équipe pluridisciplinaire et à une approche intégrée et holistique. L’équipe suit le patient tout au long du cycle de la maladie, intra et extra-muros, et s’intéresse également au bien-être, à l’éducation du patient, à la fin de vie et à l’accompagnement palliatif. Dans la pratique, les médecins et les autres prestataires de soins de santé n’y sont pas encore préparés, le cloisonnement et la rémunération inappropriée des prestations sont autant d’obstacles.

    La centralisation des soins en cancérologie permet de regrouper les compétences, d’optimiser les investissements et d’augmenter la qualité. Là encore, il existe encore des obstacles de nature financière, logistique et administrative (statut du personnel, par exemple).

    Intelligence artificielle

    L’IA est un outil important pour convertir l’énorme quantité de données provenant de notes, de prescriptions, des omics, etc. en traitements corrects. Une collecte efficace des données suppose que cela ne soit fait qu’une fois (« only once »), tandis que la pseudonymisation garantit le respect de la vie privée.

    La normalisation et l’analyse sont essentielles pour rendre les données utilisables et adaptées à leur objectif. En lien avec le niveau international, un consortium (OHDSI Belgium) s’engage dans un écosystème qui analyse les ensembles de données à l’aide d’un modèle commun. Une réglementation adaptée est également urgente dans ce domaine.

    Technologie numérique

    Sous réserve d’un suivi approprié, la télémédecine et la télésurveillance permettent d’augmenter le taux de survie, d’améliorer la qualité de vie et de réduire le nombre de complications et de (ré)admissions. Toutefois, la mise en œuvre se heurte à la réticence des autorités et des utilisateurs. La confiance dans la nouvelle technologie, l’éducation et la sensibilisation sont des éléments clés. Le financement et le remboursement de la télésanté peuvent suivre après. Mais cela aussi reste difficile.

    « Un projet pilote montre que les seniors peuvent aussi s’approprier le numérique. Même ceux qui n’avaient pas de smartphone ont appris à utiliser une simple application en 5 minutes »

    Peter Van Vooren, Remecare

    D’autres obstacles tels que la mauvaise intégration dans les systèmes informatiques existants ou l’interopérabilité compliquent l’introduction des technologies numériques. Avec www.telemonitoring-prescription.com, beMedTech interconnecte les hôpitaux, les éditeurs de logiciels, etc. via une prescription standardisée en tant qu’étape intermédiaire.

    Et la politique ?

    Il est apparu, à l’issue du débat, que le monde politique est conscient des nombreux défis à relever dans le domaine des soins aux personnes atteintes d’un cancer.

    Un consensus se dégage pour augmenter le budget de la prévention à 5 %. Yannis Bakhouche (MR) veut refédéraliser la prévention, tandis que Kathleen Depoorter (N-VA) veut précisément la défédéraliser. Pour Yannis Bakhouche, une partie de la norme de croissance de l’assurance maladie devrait être consacrée à l’innovation. Et il faut plus d’interaction et de coopération entre les parties prenantes, le secteur privé et le secteur public.

    Stéphanie Lange (Les Engagés) plaide pour une norme de croissance plus élevée afin de financer l’innovation et les nouveaux médicaments et souhaite réformer la procédure de remboursement. Kathleen Depoorter est favorable à la concentration des soins pour les cancers rares, mais souligne également l’importance des soins de proximité, par exemple pour la radiothérapie.

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