« L’efficacité n’est pas une injure en cancérologie. Au contraire ! »

15 mai 2024

À l’approche des élections, nous nous sommes entretenus avec le prof. Dr Ahmad Awada, président de notre conseil. Son message aux décideurs politiques ? « Il est impossible de répondre simultanément à tous les besoins en matière de lutte contre le cancer. D’où l’importance capitale de miser sur l’efficacité. »

Picture of professor Awada, chair of the board of All.Can Belgium

    Plus tôt cette année, nous avons publié avec All.Can Belgium notre mémorandum sur la prise en charge du cancer en Belgique. Nous y énumérons une série de recommandations étayées à l’intention de la prochaine équipe politique, subdivisées en quatre grands thèmes : prévention et dépistage, soins de qualité, nouvelles thérapies et recherche en oncologie.

    Notre président, le prof. Dr Ahmad Awada, tient à y ajouter un cinquième thème. Un sujet qui constitue le fil rouge du mémorandum et qui résume la mission de All.Can Belgium : l’efficacité.

    Prof. Awada, l’efficacité est sans doute le cheval de bataille de All.Can Belgium. Pourquoi insistez-vous autant sur l’importance de l’efficacité dans la prise en charge du cancer ?

    « En oncologie, les besoins sont très nombreux, mais les ressources ne sont pas illimitées. Cela a évidemment des conséquences. Si chaque besoin peut être pertinent, nous savons que nous ne pouvons pas répondre à tous les besoins en même temps… et que nous devons faire des choix. »

    « Pour All.Can Belgium, l’efficacité n’est pas une fin en soi, mais un moyen de tirer le meilleur parti des ressources disponibles pour la prise en charge du cancer. »

    « Il s’agit d’abord de bien comprendre quels sont les besoins pour ensuite fixer des priorités : sur quoi devons-nous nous concentrer en premier ? Ceci constitue pour nous la base d’une politique efficace en matière de lutte contre le cancer. Pour All.Can Belgium, l’efficacité n’est donc pas une fin en soi, mais un moyen de tirer le meilleur parti des ressources disponibles pour la prise en charge du cancer. »

    « On peut directement faire la comparaison avec le traitement du cancer. En plus d’être un énorme coup dur, le diagnostic du cancer constitue pour de nombreuses personnes une confrontation brutale avec le caractère temporaire de la vie. Elles se mettent alors en quête de ce qui compte vraiment pour elles. Le font-elles parce qu’elles accordent une grande importance à l’efficacité proprement dite ? Non. Elles le font, car elles veulent profiter pleinement de leur passage sur terre. »

    Venons-en aux faits. Que faut-il pour améliorer l’efficacité des soins en cancérologie en Belgique ?

    « Il convient idéalement de commencer par dresser un inventaire détaillé de la situation actuelle en ce qui concerne la prise en charge du cancer en Belgique. En 2008, je faisais partie de l’équipe qui a contribué à mettre en place le “Plan national cancer”. Avec de nombreux autres spécialistes, nous avons réalisé un mapping de la situation des soins en cancérologie à ce moment-là : où en sont les différentes facettes de la prise en charge ? Quels sont les points forts ? Qu’est-ce qui doit absolument être amélioré ? etc. »

    « Cette analyse a fait office de boussole pour parvenir à une politique efficace en matière de cancer. Les responsables politiques s’en sont inspirés pour lancer, la même année, le tout premier “Plan national cancer”, articulé autour de priorités claires et d’actions concrètes. »

    Nous avons donc besoin d’un nouveau plan cancer ?

    « Un plan de lutte contre le cancer est toujours le bienvenu, mais le secteur estime que le soutien politique nécessaire à l’élaboration d’un nouveau plan fait défaut aujourd’hui. Soyons clairs : ce type de plan est très utile, mais ce n’est pas le seul moyen d’accroître l’efficacité. »

    « Un plan cancer est très utile, mais ce n’est pas le seul moyen d’accroître l’efficacité. »

    « Réaliser le même exercice qu’en 2008 demanderait des mois de travail et nécessiterait beaucoup de personnes et de ressources. Le fait que la création d’un nouveau plan ne soit pas une priorité politique y est pour beaucoup. Ceci ne signifie toutefois pas que nous ne pouvons rien faire. Nous pouvons, et mieux encore, nous devons, nous attarder sur le plan cancer existant et actualiser les priorités. C’est le minimum si nous voulons maintenir et, de préférence, améliorer, la qualité des soins en cancérologie dans les années à venir. »

    « Chez All.Can Belgium, nous avons défini, en collaboration avec l’ensemble de nos parties prenantes (des patients et prestataires de soins au monde universitaire et à l’industrie), quatre domaines qui méritent, selon nous, d’être abordés en priorité. Notre message aux décideurs politiques ? Concentrez-vous sur ces domaines lors de la prochaine législature ! »

    Quels sont ces quatre domaines prioritaires épinglés par All.Can Belgium ?

    « La prévention et la détection précoce, la qualité de la prise en charge, l’innovation et les études. Si vous souhaitez connaître le détail de nos recommandations, je vous renvoie à notre mémorandum. Mais je tiens tout de même à mettre en évidence quelques éléments clés pour chaque domaine. »

    « L’importance de la prévention et de la détection précoce coule de source. Il vaut toujours mieux prévenir que guérir. Et si la prévention échoue, il faut intervenir le plus rapidement possible. Dans l’intérêt du patient, mais aussi de la société au sens large. L’OMS considère la détection précoce comme l’une des mesures les plus efficaces pour réduire l’impact du cancer sur les systèmes de soins de santé. »

    « Dans ce contexte, nous devons également évaluer sur quels cancers nous pouvons avoir le plus d’impact. Avec All.Can, nous avons par exemple lancé l’an dernier la campagne Get Checked Early auprès des adolescents et jeunes adultes en ciblant trois types de cancer. Nous avons en effet constaté que ces cancers étaient relativement fréquents chez les jeunes et détectés tardivement. Il s’agit du cancer du sein, du cancer des testicules et du sarcome. »

    « Par le biais de notre mémorandum, nous appelons les décideurs politiques à mettre également en place des actions ciblées en ce qui concerne la prévention et la détection précoce de cancers spécifiques au cours de la prochaine législature. »

    Le deuxième domaine que vous mettez en avant est la qualité des soins en cancérologie. Que doivent absolument savoir les décideurs politiques à ce sujet ?

    « Le message principal simple : la qualité des soins en cancérologie n’est jamais acquise ; elle doit faire l’objet d’une amélioration permanente. Nous avons rassemblé un certain nombre de points liés à la qualité, qui devraient, selon nous, figurer parmi les priorités des décideurs politiques. Il est notamment question d’accorder une plus grande attention à la perspective du patient et au soutien psychosocial ; de se concentrer davantage sur les soins complexes en cancérologie ou encore d’être plus attentif aux effets du cancer sur les autres systèmes d’organes. »

    Les deux domaines suivants, à savoir l’innovation et la recherche, sont étroitement liés. Où en est la Belgique dans ces domaines et qu’est-ce qui pourrait et devrait être amélioré ?

    « Quand on s’attarde sur la disponibilité de traitements innovants contre le cancer, le constat est sans appel : la Belgique ne s’en sort pas mal, mais n’excelle pas non plus. Nous sommes dans la moyenne. Avec All.Cam Belgium, nous estimons que nous pouvons et que nous devons mieux faire. »

    « En termes d’innovation dans les soins contre le cancer, la Belgique est aujourd’hui dans la moyenne. Nous pouvons et nous devons mieux faire. »

    « Grâce aux progrès technologies, informatiques, bio-informatiques, etc., nous comprenons de mieux en mieux le cancer. Si l’on parlait auparavant simplement de “cancer du sein”, on distingue aujourd’hui au moins 11 profils moléculaires différents de cancer du sein. Cette segmentation se manifeste également pour d’autres cancers et nous permet de mettre au point des traitements de plus en plus performants et personnalisés. Avec, à la clé, une déferlante (positive) d’innovations ! »

    « Lorsque j’ai commencé ma carrière il y a 30 ans, on voyait apparaître 1 ou 2 nouveaux traitements contre le cancer tous les 2 à 3 ans. Aujourd’hui, 2 à 3 nouveaux traitements voient le jour tous les 3 mois. Cela représente entre 8 et 12 traitements par an, contre moins d’un par an précédemment. »

    « Les pouvoirs publics ont aujourd’hui du mal à “intégrer” tous ces nouveaux traitements suffisamment rapidement. Et c’est logique, car notre modèle de remboursement n’y est tout simplement pas adapté. Nous estimons dès lors que ce modèle de remboursement doit être modernisé pour permettre aux innovations intéressantes d’atteindre efficacement le patient. »

    « La segmentation toujours plus poussée du cancer en sous-types a également des implications pour la recherche translationnelle et clinique. La Belgique est bien placée dans ce domaine, mais cette position est de plus en plus menacée. En raison de la segmentation des cancers, les groupes cibles sont de plus en plus petits. Or il convient de rassembler suffisamment de patients pour pouvoir réaliser des études. Ceci pose des défis supplémentaires pour un petit pays comme la Belgique. »

    « Si nous voulons conserver cette position de force en tant que “pays d’étude”, nous devrons faire preuve d’audace. Notre mémorandum contient des recommandations concrètes en ce sens. Les autorités doivent ainsi oser aider activement le monde universitaire à réaliser des études, mais aussi oser moderniser la méthodologie de ces études dans notre pays. Ceci nous offrirait une position de leader en Europe. »

    Plan cancer : du statique au dynamique ?

    « Un plan national de lutte contre le cancer est extrêmement utile, mais ne se fait pas en un jour », reconnaît le prof. Awada. Réaliser un nouveau mapping des soins en cancérologie toutes les X années exige en effet beaucoup de temps et de ressources, deux éléments dont nous ne disposons pas en abondance.

    Les évolutions liées aux données de santé et à l’IA ouvrent la voie à une nouvelle approche. Au lieu d’investir d’importantes sommes d’argent et de nombreuses capacités dans un nouveau plan « statique » tous les X ans, nous pourrions en faire un exercice continu et dynamique en utilisant les données et l’IA à bon escient.

    « Cette approche cadrerait parfaitement avec le caractère évolutif du cancer. On voit constamment apparaître de nouvelles perspectives, de nouveaux traitements, etc. Un plan cancer dynamique nous permettrait d’ajuster beaucoup plus rapidement et beaucoup plus efficacement les processus de soins en cancérologie. »

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